Connexion avec Emmanuel Faber
Ancien CEO de Danone, Emmanuel est aujourd’hui président de l‘International Sustainability Standards Board. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie du livre Earth for All, initié par le Club de Rome.
Merci d’accorder un peu de temps à l’écosystème 50 Partners, que tu connais un peu. On est aujourd’hui aux Universités d’Été de l’Économie de Demain. Tu as l’occasion de rencontrer de nombreux entrepreneurs, que t’inspirent-ils ?
EF : Ils m’inspirent de l’optimisme, parce que je suis persuadé que le changement arrivera par l’économie. On a beaucoup trop tendance, en tous cas dans notre pays, à penser que l’économie est séparée et tourne seule avec ses règles. La transition, à la fois sociale et écologique, ne sera réalisée que par l’économie. Tout du moins elle ne sera complète qu’à condition qu’elle soit portée par les entreprises et par des personnalités de toutes les générations qui sont engagées pour la transition écologique.
La dernière fois que tu es venu nous voir au Loft 50 Partners, tu étais en pleine transition. Aujourd’hui, tu consacres ton temps à la transformation du système financier. Selon toi, en quoi finance et innovation doivent-elles faire alliance pour répondre aux défis actuels ?
EF : Pour moi, il est assez clair que l’hypertrophie et la puissance des marchés financiers ont été facteurs de propagation et de développement de l’économie néolibérale, qui est une économie prédatrice des ressources.
On peut se dire qu’il faut arrêter la finance et se réserver à autre chose. Personnellement, j’ai une autre théorie du changement. La finance a une puissance, qui est, en fait, systémique. Son rôle est fondamentalement la réallocation des ressources excédentaires dans l’économie. Ce rôle est totalement endogène au fonctionnement de l’économie, il est donc impossible de s’en passer. C’est pour cela que l’innovation dans la finance est une solution, bien que non suffisante mais absolument nécessaire, afin d’enclencher à très grande échelle et suffisamment vite, la transition écologique. De plus, la finance doit être dirigée par un langage qui intègre la régénération des ressources.
C’est notamment un des thèmes que nous allons aborder lors des Journées Impact et Innovation qui ont lieu à Houlgate. Selon toi, l’innovation technologique est-elle une solution pour répondre aux enjeux de développement ? Le système actuel le permet-il ?
EF : Je pense que l’innovation technologique existe depuis le premier outil, depuis le feu, depuis l’agriculture et elle durera aussi longtemps que durera l’humanité. De la même manière qu’elle nous a amenés dans la direction que l’on a prise et dans les distances que nous avons parcourues, elle aura un rôle fondamental pour nous rediriger vers un ailleurs. En ce qui me concerne, je suis d’une certaine façon plus attentif à l’innovation low-tech qu’à celle high-tech. Pour l’innovation high-tech, nous avons eu l’habitude de trouver des financements, des business models et de déployer des structures et des organisations depuis littéralement deux siècles, et cela s’est accéléré. Aujourd’hui on a, et l’on va trouver de plus en plus de capitaux qui viendront au soutien des systèmes technologiques qui permettent d’apporter les solutions aux sujets climatiques car ils vont valoir une fortune. Avec un langage comptable différent, on y arrivera. Mais on le voit bien, les politiques publiques comme “France stratégie 2030” ne financent que l’innovation high-tech, il n’y a que du “hard” et aucun “soft”. Si j’avais une chose à dire, c’est que je suis persuadé que l’innovation high-tech et capitalistique ne fonctionnera, ne tiendra et ne créera l’économie régénératrice, qui est ultimement ce dont nous avons besoin, que si elle est accompagnée d’innovations sociales, sociétales profondes, qui sont des innovations low-tech, des innovations dans nos manières de travailler ensemble, d’intelligence collective, dans la “neurodiversité” des équipes. Comment accueillons-nous les personnes neurodivergentes dans les équipes ? Qu’est-ce que cela crée ? Comment accueillons-nous le vivant ? Comment retisser du lien social ? Toutes ces innovations sont absolument clés. Je me permets vraiment d’insister car c’est cela qui va caractériser la construction d’une économie, qui, au lieu d’être prédatrice, sera une économie régénératrice.
Nous partons pour deux jours à Houlgate, afin de prendre du recul sur tous ces sujets. Est-ce que tu aurais un message à offrir à notre communauté d’entrepreneurs 50 Partners, pour ce “temps hors du temps” ?
EF : Profitez-en, le temps hors du temps, en tous cas pour moi, c’est une manière de me reconnecter profondément et me permet de transformer ma vie. Donc vivez pleinement ces moments hors du temps et vivez les ensemble.
Pour aller plus loin :
- Les dernières avancées des normes IFRS
- Tribune “Pour rester dans la course à l’innovation, ouvrons-nous aux autres intelligences”
- Impact & liberté : partage avec les étudiants de Sciences Po
